Comment mesurer la qualité d'un emploi ?

Par Christine Erhel

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VIDEO 1 – Que veut dire “la qualité de l’emploi” ?

D’où vient la préoccupation pour la qualité de l’emploi ?

 La thématique de la qualité de l’emploi a été essentiellement développée par les organisations internationales : par le Bureau international du travail (le BIT) à la fin des années 90, et puis par la Commission européenne, surtout au début des années 2000. Après la stratégie de Lisbonne, le conseil de Laeken a défini une série d’indicateurs de la qualité de l’emploi à l’échelle européenne. Ce sont essentiellement ces organisations internationales qui ont mis en avant cette question de la mesure de la qualité de l’emploi. Cela a été repris plus récemment par d’autres organisations internationales, par exemple l’OCDE, qui développent également des indicateurs de qualité de vie, et dans la qualité de vie il y a aussi une dimension qualité du travail et de l’emploi.

Qu’est-ce qui détermine la qualité de l’emploi ?

La qualité de l’emploi est évoquée, en général, comme une notion multidimensionnelle. Dans cette notion multidimensionnelle, on va inclure les salaires qui sont un élément important de la qualité de l’emploi, mais aussi des aspects qui concernent la sécurité de l’emploi. Le type de contrat, contrat permanent ou contrat temporaire, temps partiel, volontaire ou involontaire… Le type du contrat de travail est une deuxième dimension, après la question des salaires. On va également inclure les questions d’accès à la formation, c’est-à-dire la possibilité pour les travailleurs de se former et d’acquérir de nouvelles qualifications. On va inclure aussi les conditions de travail, à savoir les horaires de travail, la pénibilité, l’environnement du travail, éventuellement les dangers que l’on peut avoir dans cet environnement de travail. Et puis, notamment dans l’approche européenne, on inclut également la question de la conciliation : est-ce que le travail est conciliable avec la vie familiale ou la vie privée de manière plus générale ? L’approche de la qualité de l’emploi développée à l’échelon international et reprise ensuite dans plusieurs pays repose donc sur plusieurs dimensions.

Le salaire est-il le principal critère de la qualité de l’emploi ?

Chez les économistes, c’est la dimension qui est souvent mise en avant lorsque l’on parle de qualité de l’emploi. Mais dans ces approches multidimensionnelles, il y a l’idée de regarder aussi du côté non-monétaire, c’est-à-dire de regarder des dimensions autres que la dimension purement rémunération et salaire. Dans les études dont on dispose sur la satisfaction au travail, on sait que, dans ce qui rend les gens contents du travail qu’ils occupent, les salaires sont un aspect qui compte, mais ce n’est pas le seul, il faut en ajouter d’autres. Par exemple la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle est une dimension qui compte aussi beaucoup pour la satisfaction au travail.

D’où viennent les données qui permettent de mesurer la qualité de l’emploi ?

Plusieurs indicateurs ont été définis avec l’idée de tenir compte de plusieurs dimensions. On utilise des statistiques européennes produites par Eurostat sur l’accès à la formation, sur les conditions de travail, sur le type de contrat, etc. Il y a plusieurs indicateurs dans la littérature. J’ai participé à la construction de l’un d’entre eux qui a été repris par la Commission européenne, mais il en existe d’autres. Ce qui est rassurant, c’est que l’ensemble de ces travaux aboutissent en général au même type de classification, c’est-à-dire que les résultats sont très convergents, sachant que le point de départ est le même, c’est l’idée d’avoir cette approche multidimensionnelle.

Il existe d’autres travaux qui reposent plutôt sur des données « subjectives » concernant la satisfaction au travail. On a des enquêtes européennes où l’on interroge les salariés sur ce qui contribue à leur bien-être au travail. Sur la base de ces enquêtes, on peut avoir une vision pour l’ensemble des pays européens des aspects qui comptent aux yeux des travailleurs en matière de qualité de l’emploi et du travail. Là aussi, les résultats convergent. Notamment, les pays du Nord sont des pays dans lesquels, quels que soient les indicateurs que l’on retient, on va avoir des résultats plus favorables et où la perception des salariés par rapport à leur bien-être au travail est la plus favorable.

VIDEO 2 : La qualité de l’emploi en France

La qualité de l’emploi est-elle une préoccupation nationale ou internationale ?

Des travaux sont apparus dans un cadre national, par exemple aux États-Unis ou au Royaume-Uni, sur la question des bas salaires ou des emplois de mauvaise qualité, les « bad jobs ». Aux États-Unis, il y a eu beaucoup de travaux là-dessus. Donc, il y a des débats et des enjeux nationaux sur la question de la qualité de l’emploi.

À l’échelon international, on a plutôt vu apparaître une volonté de mesure, de création d’indicateurs qui permettent de suivre les politiques dans différents pays et de comparer la situation des différents pays entre eux. Du côté du BIT, je pense que c’est l’un des objectifs principaux depuis longtemps, et elle a voulu un peu le formaliser. Du côté de la Commission européenne, c’est plutôt l’idée d’équilibrer un peu par rapport à d’autres objectifs que l’on peut avoir en matière d’emplois, qui sont plus axés sur le taux d’emploi et la participation au marché du travail. Il y a eu l’idée, au début des années 2000, d’essayer d’avoir aussi une dimension qualitative, et pas seulement une dimension quantitative ou simplement concernant l’intégration au marché du travail.

Où se situe la France en Europe sur la question de la qualité de l’emploi ?

Lorsqu’on fait des comparaisons sur la qualité de l’emploi entre pays européens – c’est essentiellement ce que je fais dans mes travaux – on observe qu’il y a un groupe dans les pays du Nord où l’on obtient une très bonne qualité de l’emploi. Lorsqu’on dit « très bonne », cela veut dire que, selon toutes les dimensions de la qualité, à la fois l’accès à la formation, les conditions de travail ou le type de contrat de travail, on a de bons résultats sur l’ensemble de ces indicateurs. C’est le cas des pays comme la Suède ou le Danemark. Ensuite, on va trouver des pays qui sont dans une situation un peu intermédiaire, dont fait partie la France, qui sont des pays où l’on a des résultats plutôt moyens. Il y a des choses qui sont favorables, par exemple la France est plutôt bien située en termes de conciliation « vie familiale-vie professionnelle ». D’autres aspects sont un peu plus discutables en matière de qualité, par exemple en France, nous avons un problème avec l’intensité du travail. On sait que l’intensité au travail a augmenté depuis la fin des années 90 et c’est quelque chose qui est vécu difficilement par les salariés. On a aussi des difficultés avec la question de la sécurité de l’emploi, c’est-à-dire que l’on a un marché du travail dans lequel des gens sont très bien protégés et d’autres sont en emploi temporaire ou en CDD et qui ont un sentiment d’insécurité fort. On a aussi des problèmes sur l’accès à la formation. En France, l’accès à la formation est inégal, donc selon son niveau de diplôme initial, selon le type de contrat qu’on occupe, on a plus ou moins de chance d’accéder à la formation. Le cas de la France, de ce point de vue, se situe dans une position un peu intermédiaire.

D’autres pays ont plutôt de mauvais résultats en matière de qualité de l’emploi. Des pays du Sud comme l’Espagne comptent beaucoup d’emplois temporaires qui ne permettent pas d’avoir accès facilement à un logement par exemple, ou aux jeunes d’être indépendants financièrement. On y rencontre aussi des problèmes de conciliation vie familiale-vie professionnelle. Enfin, dans les nouveaux pays membres de l’Union européenne, donc plutôt à l’Est de l’Europe, dans certains cas il y a des problèmes de conditions de travail assez dégradées qui touchent un grand nombre de salariés.

On a donc une hétérogénéité forte en Europe, et la France se situe dans une position intermédiaire.

Pourquoi avons-nous en France un problème d’intensification du travail ?

 En France, le problème de l’intensification du travail a commencé dès les années 90. Il est lié au fait que la France a une productivité élevée car les entreprises ont fait le choix de mettre l’accent sur les gains de productivité du travail. Pour cette raison, elles ont mis en place de nouvelles pratiques de gestion des ressources humaines qui visent à augmenter les performances et les incitations à produire plus efficacement, etc. Cela a beaucoup contribué à cette intensification du travail, que l’on retrouve partout mais qui est plus forte en France que dans d’autres pays.

Par ailleurs des études montrent que le fait d’avoir réduit la durée du travail à la fin des années 90 a pu aussi, dans certaines entreprises, accentuer le phénomène puisqu’on a négocié sur le temps de travail pour réduire les temps de pauses. Certes on travaille moins longtemps, mais on travaille de manière plus concentrée que ce qui peut se faire dans d’autres pays. Donc ce sont toutes ces raisons qui peuvent expliquer l’expérience française d’intensification du travail, tendance que l’on constate depuis les années 90.

La réforme des 35 heures est-elle l’une des causes de cette intensification ?

Non, ce n’est pas le facteur explicatif, puisque cette évolution avait commencé avant. Elle a sans doute contribué à accentuer la tendance, au moins au début des années 2000. Mais ce n’est pas la cause, puisque depuis les années 90 on avait cette tendance à l’intensification du travail. C’est davantage lié à des choix d’organisation de ressources humaines qui ont été faits par les entreprises.

Qu’est ce qui a changé en matière de sécurité des emplois ?

Sur le volet « sécurité » des contrats de travail, c’est aussi une tendance qui avait commencé bien avant la crise. En France, on a fait le choix de continuer à protéger certaines catégories de salariés qui sont en emploi permanent, et de développer à côté des formes d’emplois plus flexibles. Cela a engendré, évidemment, un sentiment d’insécurité pour certaines personnes en contrats temporaires. D’autant plus qu’en France on gère assez mal les transitions des emplois temporaires vers les emplois permanents. Un certain nombre de comparaisons montrent qu’en France, il est plus difficile de passer d’un contrat temporaire à un contrat permanent pour toute une série de personnes, notamment celles qui ont le plus faible niveau d’éducation.

Pourquoi en France, la formation continue est plus accessible aux plus qualifiés ?

 Le fait que la formation continue soit concentrée sur les plus qualifiés se retrouve ailleurs. C’est un phénomène qui est plus marqué en France, mais qui n’est pas spécifique à la France. On retrouve cela aussi au Royaume-Uni, en Allemagne. Simplement, en France, les difficultés d’accès à la formation continue pour les moins qualifiés viennent, là encore, d’abord des pratiques des entreprises qui segmentent la manière dont elles vont offrir des formations aux différents types de salariés. C’est d’abord de ce côté-là qu’il faut agir si l’on veut effectivement modifier les pratiques. Il faudrait avoir des indicateurs qui permettent vraiment de suivre les politiques de formation des entreprises, en sachant qui elles forment et quels types de salariés elles forment, ce qui n’est pas toujours facile à obtenir.

Du côté des salariés, on peut aussi avoir des réticences liées au fait que les moins qualifiés n’ont pas forcément envie de retourner à l’école, en tout cas de faire de nouvelles formations. Il faut aussi arriver à lutter contre ces réticences. Les pays nordiques, par exemple, le font bien. Ils ont une prise en charge de la logique de la formation de manière très précoce, ce qui veut dire que ceux qui ont des faibles niveaux d’éducation sont incités à retourner faire des formations très tôt dans leurs carrières. C’est important car cela les met sur des trajectoires où la formation continue fait partie de leur univers. En France, c’est beaucoup moins le cas.

VIDEO 3 : La qualité de l’emploi en temps de crise

La crise a-t-elle un impact sur la qualité de l’emploi ?

La crise a des effets un peu paradoxaux sur la qualité de l’emploi. La première chose est que, si l’on regarde les indicateurs de suivi de la qualité de l’emploi, dans certains pays il y a une amélioration de la qualité de l’emploi dans la crise. C’est lié au fait qu’il y a eu beaucoup de destructions d’emplois de mauvaise qualité. Un effet de structure fait augmenter la qualité moyenne de l’emploi mesurée au niveau national. Par exemple, en Espagne, la qualité de l’emploi s’est plutôt améliorée, mais c’est dû au fait qu’il y a eu beaucoup de destructions d’emplois temporaires. Donc il faut se méfier des indicateurs dans ce type de période. Il faut essayer de redescendre à un niveau plus microéconomique, au niveau de l’individu, pour voir comment se sont faites les évolutions pendant la période de crise. Si l’on descend au niveau individuel, on voit en général des tendances à la dégradation. Elles peuvent passer par plusieurs vecteurs, notamment par le fait que certaines personnes changent d’emplois ou passent par le chômage et reprennent des emplois qui vont être plus précaires ou à temps partiels. Il y a eu une montée de l’emploi à temps partiels suite à la crise par exemple, donc ces évolutions sont plutôt défavorables. Dans le contexte actuel, il reste pertinent de se poser la question de la qualité de l’emploi en termes de bien-être au travail du point de vue de la société dans son ensemble, mais aussi du point de vue des entreprises. C’est important, même en termes de compétitivité des entreprises, d’avoir une ambiance de travail qui soit positive et qui amène de bons résultats, y compris au niveau des performances économiques des entreprises. C’est un problème qui reste tout à fait d’actualité, même dans un contexte difficile comme le contexte de crise que l’on connaît aujourd’hui.

Comment un salarié appréhende ces questions en temps de crise ?

Dans les enquêtes sur la satisfaction au travail, on constate qu’avec la crise, les salariés vont, en moyenne, plus apprécier leur emploi aujourd’hui, c’est-à-dire qu’ils sont plus satisfaits de leur travail parce qu’ils savent que ce travail a plus de valeur que ce qu’ils pouvaient percevoir auparavant. Tous ces aspects d’environnement économique, de conjoncture, jouent sur les perceptions individuelles. Parmi les indicateurs multidimensionnels que j’ai évoqués, certains ont plutôt tendance à se baser sur des variables objectives, donc dans ce cas on a moins ce problème d’appréciation et de biais liés au contexte dans lequel on pose des questions aux individus.

Pourquoi dans Horizon 2020 vous avez une étude sur les liens entre la qualité de l’emploi et l’innovation ?

C’est un projet dont l’objectif est d’examiner les liens avec l’innovation. Il n’y a pas de définition a priori, elle va se construire au fil du projet : cela peut être des innovations de produits, des innovations de procédés, des innovations même en matière de ressources humaines. On souhaite voir comment on peut relier ces innovations aux évolutions de l’emploi, et surtout de la qualité de l’emploi. Au niveau européen, l’hypothèse qui est faite dans la perspective d’Europe 2020 est qu’il existe un lien vertueux, c’est-à-dire que l’innovation est favorable à la qualité de l’emploi, et que la qualité de l’emploi peut en retour générer des innovations. Quand on est dans un meilleur contexte de travail, on va avoir une dynamique d’innovation et d’apprentissage qui va se mettre en place. C’est l’hypothèse européenne. On souhaite tester si cette hypothèse fonctionne en réalité dans les pays européens. On va faire cela à la fois à partir de données macroéconomiques sur chaque pays, et puis avec des données d’enquête qui sont des enquêtes d’entreprises où l’on va regarder quels ont été les effets de l’introduction d’innovations sur les trajectoires des entreprises en matière d’emplois et de qualité de l’emploi. Voilà la perspective qui est retenue dans ce projet.


Comment décrire la qualité d'un emploi ?

Ces indicateurs peuvent être regroupés sous quatre grandes rubriques : sécurité socioéconomique (salaires, nature des contrats de travail), éducation et formation (initiale et continue), conditions de travail (absente auparavant de la définition de l'Union européenne), et égalité hommes/femmes/conciliation entre vie ...

Comment définir et mesurer les caractéristiques du travail et de l'emploi ?

Taux d'emploi : Selon l'INSEE, le taux d'emploi se définit comme la proportion de personnes, parmi celles en âge de travailler, disposant d'un emploi. Il est calculé en rapportant le nombre d'individus ayant un emploi au nombre total d'individus en âge de travailler.

C'est quoi la polarisation de l'emploi ?

On entend par polarisation de l'emploi le déclin historique de la part des emplois situés au milieu de la distribution des qualifications (employés et ouvriers qualifiés) au profit à la fois des plus qualifiés (cadres et professions intermédiaires) et des moins qualifiés (ouvriers et employés peu qualifiés).