Statue sans tete avec des ailes

Par Jacques des Courtils, professeur d'archéologie à l'université de Bordeaux, directeur des fouilles de Xanthos-Létôon.
Publié le 11/10/2018 à 15h30

Le grand chantier de restauration de la statue trouvée sur l'île de Samothrace en Grèce a permis de mettre à jour certains détails inédits de sa construction. Jacques des Courtils, professeur d'archéologie à l'université de Bordeaux raconte

La statue de la Victoire de Samothrace (sans le navire sur lequel elle se dresse) fut découverte (incomplète) en 1863 par Charles Champoiseau, alors qu’il menait des fouilles dans le sanctuaire des « Grands Dieux », dans l’île de Samothrace au nord de la mer Égée. En poste à Andrinople (aujourd’hui Edirne). Champoiseau appartenait à ces générations de diplomates du XIXe siècles, qui, cultivés et férus d’histoire, menèrent des recherches dans tout l’Orient méditerranéen sans être archéologues.

Ayant obtenu les autorisations du gouvernement de la Sublime Porte (le nord de la Grèce appartenait encore à l’empire Ottoman), il expédia sa trouvaille à Paris où elle fut immédiatement exposée.

Plusieurs découvertes

Par la suite, plusieurs expéditions complétèrent la découverte : en 1875. Alexander Conze, à la tête d’une mission autrichienne, étudia des blocs de marbre grisâtre découverts par Champoiseau mais qui n’avaient pas suscité son intérêt : il s’avéra qu’ils appartenaient à une base monumentale en forme de proue de navire sur laquelle la Victoire se dressait. Aussi, quatre ans plus tard, Champoiseau revint-il à Samothrace pour récupérer les éléments de la base et les envoyer à Paris.

La Victoire se dressait sur une base monumentale en forme de proue de navire.

D’autres fouilles, dans les années 1950 et 1960, apportèrent quelques compléments (paume d’une main, fragments de la base). L’espoir d’en trouver d’autres aujourd’hui est pratiquement nul : chercheurs et admirateurs doivent donc se contenter d’une statue acéphale et sans bras, mais qui, telle qu’elle se présente aujourd’hui, suscite tout de même admiration et interrogation.

Statue sans tete avec des ailes
Vue du sanctuaire en direction du théâtre. La Victoire au sommet de la pente.

Cette femme dotée d’ailes est, pour les Grecs, une allégorie de la victoire militaire : c’est une déesse qui fait l’objet d’un culte. Représentée sur une proue de bateau, la statue fait certainement allusion à une victoire navale, comme le montrent d’autres exemples : des monnaies grecques portant son effigie (sur une proue) ont été frappées par des souverains de l’époque hellénistique. Sur l’agora de Thasos , île voisine de Samothrace, on a trouvé une base en marbre sculptée en forme de proue qui devait supporter une Victoire, et l’on peut voir à Rhodes, à l’entrée du sanctuaire de Lindos, une magnifique proue de navire taillée en bas-relief dans la falaise, en commémoration d’une victoire sur laquelle nous ne savons rien…

La Victoire reste une œuvre sans auteur célébrant la victoire inconnue d’un roi grec anonyme

Que faisait-elle de ses bras?

La perte des bras et de la tête nous prive des détails de la pose. On a abandonné depuis longtemps l’hypothèse, pourtant séduisante, formulée à la fin du XIXe siècle d’une Victoire sonnant de la trompette, car elle n’est jamais représentée ainsi dans l’art grec. Quant à la fameuse « trompette de la renommée », il s’agit d’une expression latine qui désigne explicitement la célébrité d’une personne et non pas d’une divinité de la victoire. Il reste que nous ignorons si la Victoire tenait d’une main une couronne (symbole de la victoire chez les Grecs, mais plutôt dans les compétitions sportives) ou était représentée sans attribut dans la main (ce qui est plus probable).

La restauration de la statue menée au Louvre en 2013-14 a été l’occasion, non seulement de dépoussiérer physiquement la statue mais surtout d’en améliorer la présentation. On a, à cette occasion, réexaminé les ailes : on savait que l’aile droite était une reconstitution du XIXe siècle, f aite sur le modèle de l’aile conservée, mais le démontage et le remontage de cette dernière a permis de rectifier et de compléter la position d’éléments du plumage. Le parti a été choisi de conserver l’aile moderne pour ne pas briser la symétrie de l’ensemble. Les broches en fer qui avaient été placées au XIXe siècle pour fixer des éléments rapportés (notamment l’aile gauche et plusieurs plumes) ont été retirés et remplacés par des broches en titane qui ont l’avantage d’être absolument stables et inoxydables. D’autres améliorations ont été apportées, notamment en reprenant les compléments en plâtre (par exemple le cou qui avait été refait trop épais) et en modifiant légèrement la pondération de la statue.

Statue polychrome

Les examens menés en parallèle aux restaurations ont permis, grâce aux procédés contemporains de détection, de repérer des traces de couleu r (bleu sur une aile et en bas du vêtement). Il est donc certain que la statue était au moins en partie peinte, constat qui n’étonne pas puisque les recherches récentes dans ce domaine ont montré que c’était le cas de l’ensemble de la statuaire et des bas-reliefs grecs… Il reste malheureusement trop peu de vestiges de traces pour savoir quelle était l’étendue et les nuances de la polychromie choisie pour la Victoire de Samothrace.

La base a également bénéficié de restaurations et a été complétée au moyen de quelques fragments originaux. Surtout, on a supprimé une dalle rectangulaire qui avait été placée sous les pieds de la Victoire pour la surélever et s’avérait aussi inesthétique qu’inutile. Posée directement à même la proue du navire, en position légèrement oblique, la Victoire domine à nouveau majestueusement l’escalier Daru du musée du Louvre. On ajoutera que les recherches menées à Samothrace ont montré que c’est bien ainsi qu’elle se présentait dans l’Antiquité : dominant un talus qui la rendait visible de loin grâce à sa position surélevée.

Le sanctuaire des Grands Dieux

Les fouilles entreprises au XIXe siècle ont largement dégagé le sanctuaire des « Grands Dieux ». Caché au creux d’un vallon proche de la mer, c’est un site très particulier, de part en part traversé par le lit de deux torrents intermittents sur les berges desquels se répartissaient les monuments. Le culte local reste pour nous très mystérieux : les « Grands Dieux » sont restés anonymes. Nous savons que les pèlerins qui se rendaient à Samothrace recevaient une initiation à des « mystères », mais le secret de ceux-ci n’a jamais été divulgué.

On peut seulement dire que les Grands Dieux (aussi appelés Cabires ) étaient des protecteurs des marins et qu’aux premiers temps de la civilisation grecque, ce lieu de culte était presque inconnu. Il bénéficia d’une soudaine notoriété à partir de l’époque de Philippe II de Macédoine, père d’Alexandre le Grand : c’est en effet à l’occasion d’une visite au sanctuaire qu’il rencontra la reine Olympias — on rapporte même qu’Alexandre fut conçu dans le sanctuaire ! Quoi qu’il en soit, c’est à partir de cette époque que ce petit sanctuaire local et périphérique devient célèbre et commence à être doté de magnifiques monuments offerts par divers rois grecs successeurs d’Alexandre.

Les fouilles ont montré que plusieurs édifices, et non des moindres, ont été érigés sous l’égide des Ptolémée, successeurs d’Alexandre qui avaient installé leur royaume en Égypte : le fait que, depuis Alexandrie, ils aient commandité la construction de grands bâtiments en marbre à Samothrace montre quel respect ils avaient pour ce sanctuaire pourtant situé à plus de mille kilomètres à vol d’oiseau de l’Égypte !

Statue sans tete avec des ailes
Vue du sanctuaire depuis l’emplacement de la Victoire. Au premier plan, restes de la base.

Les recherches les plus récentes, menées par Bonna D. Wescoat , ont porté sur l’emplacement exact de la Victoire. Celle-ci se trouvait dans le vallon oriental, en compagnie des édifices principaux du sanctuaire qui étaient groupés sur la rive droite du torrent. Un plancher couvrant ce dernier donnait accès de plain-pied au théâtre situé sur l’autre rive, qui était muni de gradins en pierre posés sur la pente naturelle aménagée en arc de cercle. Il ne reste rien de ce dispositif, les gradins ayant été pillés depuis le XIXe siècle : on ne distingue plus que la forme du théâtre sur la pente. La présence de ce dernier ne s’explique évidemment pas par une fonction de divertissement : il s’agissait d’un édifice où les pèlerins pouvaient assister à des cérémonies rituelles dont le détail nous échappe complètement. Au sommet du théâtre se trouve une plate-forme aménagée de main d’homme et bordée sur trois côtés de murs assez grossiers : c’est là que se dressait fièrement le monument de la Victoire.

Le site de la statue

Il faut imaginer un socle constitué de gros blocs rectangulaires de calcaire local, sur lequel était présentée la proue du bateau portant la Victoire. La proue, presque entièrement conservée au Louvre, reposait seulement sur sa partie arrière, au niveau du début de la quille : elle était donc en porte-à-faux, mais l’équilibre était assuré par le poids supérieur de sa partie arrière qui allait en s’élargissant. Quant à la statue, elle se dressait sur la partie arrière de la proue et renforçait, par son propre poids portant sur l’arrière, la stabilité de l’ensemble. La position, déportée vers l’arrière, de la proue se soulevant à l’avant, conférait évidemment à ce monument un air de dynamisme et un mouvement recherché par le sculpteur : l’étrave du navire fendait les flots tandis que le vent plaquait sur son corps les vêtements flottants de la Victoire et en faisait voler à l’arrière des pans. L’ensemble dominait, du haut du théâtre, le cœur même du sanctuaire : tout avait donc été calculé pour rendre la mise en scène de la statue aussi spectaculaire que possible.

Le détail de la mise en place du monument nous échappe aussi. On a formulé l’hypothèse que la proue en marbre pourrait s’élever d’un bassin rempli d’eau. On avait invoqué à l’appui de cette hypothèse la présence d’une canalisation mais les fouilles de B. D. Wescoat ont démontré que cette dernière est tardive et qu’elle ne fait que traverser la terrasse de part en part pour amener l’eau plus loin. Plus intéressante est la découverte récente de quelques minuscules fragments de stuc qui pourraient étayer l’hypothèse d’une construction abritant la Victoire.

Un marbre intact

En effet, à l’époque hellénistique, et surtout en Macédoine et dans son orbite, s’est développée une variante de l’architecture grecque qui recourt largement aux enduits stuqués avec des motifs en relief polychromes : on en trouve à Samothrace dès le début du IIIe s. (dans le « hiéron » ou salle d’initiation aux mystères). De plus, deux autres édifices du sanctuaire (la dédicace d e Philippe III et Alexandre IV , la niche ionique) se présentent comme des grandes niches avec une façade ouverte à travers laquelle on pouvait contempler les statues exposées à l’intérieur. Il est donc tout à fait plausible de restituer autour du monument de la Victoire une grande niche de cette sorte dont les murs auraient été couverts sur la face intérieure de décors stuqués et peints. Cette hypothèse permettrait d’expliquer que le marbre de la statue ne présente aucune trace d’exposition aux intempéries. Cependant, en dehors des traces de stuc mentionnées, aucun autre indice matériel, aucun vestige (blocs des murs, colonnade de façade, clous de la charpente…) ne permet d’étayer cette hypothèse qui reste aujourd’hui une pure spéculation.

Nous sommes donc, probablement pour toujours, confrontés au mystère de cette admirable statue en marbre de Paros, élevée sur une proue en marbre de Rhodes

Nous sommes donc, probablement pour toujours, confrontés au mystère de cette admirable statue en marbre de Paros, élevée sur une proue en marbre de Rhodes : les études stylistiques la rapprochent de certaines des figures du Grand autel de Zeus à Pergame, les traces conservées de la signature d’un sculpteur rhodien sont beaucoup trop petites pour convenir à un grand monument, bref, la Victoire de Samothrace, mieux connue aujourd’hui et mieux mise en valeur, reste une œuvre sans auteur célébrant la victoire inconnue d’un roi grec anonyme !

Comment s'appelle la statue sans tête avec des ailes ?

La Victoire de Samothrace est un monument votif trouvé dans l'île de Samothrace, au nord de la mer Égée. C'est un chef-d'œuvre de la sculpture grecque de l'époque hellénistique, datant du début du II e siècle av.

Comment s'appelle la statue avec des ailes ?

Exposée au Musée du Louvre, la Victoire de Samothrace est une statue de marbre mesurant 5,57 mètres de hauteur, au total. Le monument représente une femme ailée, qui n'est autre que la déesse messagère de la Victoire. Elle est posée sur une base en forme de proue de navire et un socle bas.

C'est quoi la victoire ailée ?

L'allégorie de la Victoire (en latin Victoria) est l'équivalent romain de la Nikê grecque et personnifie la victoire. Elle est le plus souvent représentée par une déesse ailée, vêtue d'une longue robe romaine et nu-tête, qui tend une couronne de laurier, emblème de victoire qu'elle est censée offrir au vainqueur.

Pourquoi la Victoire de Samothrace est si connue ?

La Victoire de Samothrace représenterait, comme son nom l'indique, une victoire ailée, ou niké, atterrissant avec délicatesse sur la proue d'un navire. La statue aurait été commanditée pour célébrer une bataille navale entre la Macédoine et les Rhodiens, gagnée par ces derniers.